Qui n’est pas qu’une affaire de spécialistes.

la critique

La Bellone explore des alternatives dans la production de propos sur l’art, pour nourrir un discours polyphonique sur les œuvres, sortir des logiques d’évaluation ou de simple mise en contexte historique, faire se rencontrer différentes manières de recevoir, de percevoir et de regarder ces œuvres.

La Salve - revue critique

L’écriture sur l’art permet d’éprouver comment une œuvre peut agir sur une microsociété, celles et ceux qui y assistent, ce qu’elle donne à rêver, à réfléchir, et comment l’écriture est un moyen de penser, et de penser ensemble, même lorsque l’écriture elle-même est individuelle. La critique artistique n’est pas que l’affaire de spécialistes, le site de la Salve* est là pour vous donner à lire d’autres manières de penser et d’écrire de la critique.

La Salve a été créée en 2020 sur une invitation de Mylène Lauzon, et réunit un groupe de personnes qui ne se connaissaient pas : des personnes d’âges divers – une vingtaine d’années séparent les plus jeunes des plus âgé·es, deux critiques professionnel·les et six autres qui ne le sont pas, des gens aux parcours, pratiques et provenances différentes, quelques fois très proches ou d’autres fois éloignées des arts de la scène. Le dénominateur commun du groupe : s’engager dans une pratique d'écriture « affectée ».  

Ses règles du jeu :

  • une Salve a lieu dès lors qu’un minimum de 5 personnes écrivent, le groupe étant composé de 8 personnes.

  • tour à tour, un·e membre du groupe nous propose le spectacle à voir pour la prochaine Salve, en privilégiant une circulation entre les lieux bruxellois, les disciplines, les provenances et parcours des artistes.

  • chacun·e écrit pour son lectorat fantasmé, le groupe n’entend pas écrire pour un lectorat spécifique.

  • chacun·e écrit dans le style et le nombre de signes qui lui convient ; il n’y a pas de norme définie ici pour une écriture critique.

  • les Salves ne sont pas produites pour promouvoir les spectacles et sont en conséquence publiées environ un mois après nos passages dans les salles.

  • chaque salvien·ne écrit son texte et se fait relire et éditer par un·e autre salvien·ne, puis retravaille son texte. Ces binômes changent à chaque Salve.

  • les échanges avec les artistes suite à une Salve sont courants et vivement souhaités. Ils ont lieu le plus souvent dans l'intimité d'un échange par mail ou d'une rencontre privée, mais rien n'empêche d'imaginer toute autre chose.

Si vous souhaitez tenter la pratique voici un TUTO*.


Depuis sa création ont écrit dans La Salve : Laïss Barkouk, Anna Czapski*, Caroline Godart*, Flo Delval*, Marwane Lakhal*, Mylène Lauzon*, Bintou Mansare & Milady Renoir*, Raïssa Yowali M'bilo*, Camille Mormino, Marie Paule Mugeni, Jérôme Poloczek et Arnaud Timmermans*.   


Et le groupe a été imprégné de réflexions partagées avec Aïnhoa Jean-Calmettes*.

journée de réflexion

Les journées de réflexion sur la critique s’emploient à questionner les projections, les désirs, les normativités implicites et les tentatives de renouvellement liées à la posture critique en art, tout particulièrement dans les arts vivants.

S’agissant de la critique, ces journées s’emploient à questionner les projections, les désirs, les normativités implicites et les tentatives de renouvellement liées à la posture critique en art, et tout particulièrement en arts vivants.


Journée 2025: Critique, affects, légitimité*

L’un des premiers rôles sociaux de la critique d’art, en tout cas son effet le plus visible et le plus immédiat, est de produire de la légitimité et de la distribuer à certaines œuvres plutôt qu’à d’autres. Qu’elle fasse l’éloge d’une œuvre ou se livre à sa destruction en règle, le premier acte d’une critique est toujours d’énoncer implicitement que de cette œuvre « il vaut la peine de parler ». Mais sur quoi repose ce pouvoir de légitimation et surtout, qui est légitime à rendre ainsi légitime ?

Que ce soit dans la presse à grand public ou dans les publications plus spécialisées, la réponse à cette question est, dans une écrasante majorité, de renvoyer à un idéal d’objectivité et de se dégager de toute logique d’affect. Pour résumer, on pourrait dire que le style critique contemporain cherche sa légitimité en enfouissant les questions d’affect sous les formes de l’argumentation rationnelle, distanciée, « universelle ». 

Pourtant, depuis quelques années, des initiatives critiques rompent avec ce refoulement de l’affect pour se démarquer explicitement de cette ambition d’objectivité et affirment au contraire une posture critique résolument située, que ce soit par la mise en polyphonie d’une diversité de regards ou par la revendication d’une critique ouvertement affectée. Pour elles, l’affect ne renvoie pas à une individualité privée, elle est au contraire ce qui marque les appartenances et les engagements, les points de privilège ou de domination. En un mot : en faisant voir et parler nos zones critiques, au sens qu’Irit Rogoff* a donné à l’idée de criticality : à savoir l’ensemble des conditions (de vie psychique et corporelle, d’éducation, d’appartenance à des identités ou à des groupes sociaux...) à partir desquelles, chacun·x·e de façon située, nous sommes diversement concerné·x·es et éventuellement déplacé·x·es par les situations, les discours, les événements que nous rencontrons. 

Une critique affectée fait donc tout l’inverse que se murer dans son « expérience à soi », pas plus qu’elle ne cherche à produire un point de vue « universel » ou « neutre » : elle dessine toujours, plus ou moins expressément, une carte de relations, de proximités ou de distances, d’attachements ou de rejets. Non pas pour les ériger en arguments d’autorité mais au contraire pour faire retour sur ses propres conditions de parole. Elle met alors à jour l’autre sens de « critique » : celui d’une bascule (comme on parle d’un seuil critique) dans la pensée, le corps ou l’écriture. Elle affirme ainsi que si une posture critique est toujours construite, sa légitimité n’est pas une affaire de codes (normatifs, intellectuels, blancs ou bourgeois) qui se voudraient faire « référence », mais bien au contraire qu’elle peut et doit, si elle veut rester vivante, se pratiquer depuis des points d’expérience et de parole toujours multiples.

*

L’aventure critique de Pauline L. Boulba* est radicalement de celles-là. Dans son livre Critiqueer la danse (2023), elle dessine une pluralité foisonnante d’explorations critiques qui poussent toujours plus loin l’attention à un savoir-sentir et « invitent à repenser l’oeuvre et la critique comme des espaces participant aux mêmes enjeux (une redistribution des savoirs, des gestes, des processus de subjectivations) ». 

Active à La Bellone depuis 2021, La Salve est un projet de déconstruction critique imaginé par Mylène Lauzon. En 5 ans, le projet a mué au gré des modulations du groupe qui a été constitué autour. 8 regards de personnes aux pratiques multiples, se croisent pour offrir 4 fois l’an, un bouquet de textes autour d’un spectacle/une performance d’artistes de la FWB. Au-delà d’un jugement esthétique ou formel, ces plumes partagent leur rencontre avec l'œuvre, les endroits de frottements, ce qui les déplace aussi ; une manière d’envisager un dialogue avec un.e/des artistes, leur travail et les spectateur·rices.

Comment recevoir une œuvre artistique et partager ce qu’elle a provoqué en nous? Qui peut se dire critique d’arts vivants ? À l’heure de la multiplication des médiums et des initiatives critiques, quelle est encore sa place aujourd’hui? Tels sont les questionnements qui ont fait évoluer le projet.
Inspirée par différents textes signés par Irit Rogoff ou Pauline L. Boulba, la Salve se place à l’endroit de la liberté, de la générosité et de la vulnérabilité et tente de déplacer les rapports de pouvoir induits par la posture critique classique, en interrogeant le regard critique lui-même. 
Récemment, est née la volonté de l’ouvrir à d’autres plumes à travers des ateliers. Un tutoriel a dès lors été imaginé à partir de là, reprenant jeux et mises en situation pour déployer une pensée critique propre, résultat d’un regard situé conscient, libre dans sa forme. C’est avec une grande joie que l’équipe de La Salve souhaite partager ce premier prototype de « mode d’emploi  » de la critique salvienne. Un tuto à mettre en toutes les mains.


Journée 2024: Qu’attend-on de la critique aujourd’hui ?*

Depuis quelques années, la critique s’interroge et se réinvente. Ses formes traditionnelles semblent de moins en moins assurées de leur éminence et se raréfient dans l’espace médiatique. En même temps, l’attitude critique se dissémine dans tous les recoins de nos existences connectées, des forums de fans jusqu’aux notations et avis laissés sur internet par les utilisateur·ices sur à peu près tout, des restaurants aux médecins, jusqu’aux lieux publics ou aux sites naturels.

Dans le domaine des arts, si la critique spécialisée et savante résiste et se maintient, sa version grand public, qu’elle soit écrite ou audiovisuelle, s’est progressivement tournée vers des formats qui se rapprochent de la chronique ou de la promotion. Dans le même temps, des initiatives renouvellent le genre par des approches qui tranchent avec la figure du ou de la critique expert·e, individuel·le, évaluateur·ice ou prescriptif·ve : critique située, critique affectée, critique en collectif, critique performée sont autant d’avatars nouveaux du geste d’origine qui consiste à répondre, depuis son point, à une proposition artistique.

Il semble donc aujourd’hui utile de se demander ce qu’au juste, de la critique, on est en droit d’attendre ; de se pencher sur ce qui s’exprime dans les façons nouvelles de la produire, dans les manières contemporaines de la « consommer » ou encore dans l’expérience intime de la recevoir, cette réponse et cette relance, au terme d’un processus créateur dont on sait ce qu’il engage.

textes fondateurs

Irit Rogoff est écrivaine, théoricienne, enseignante et commissaire d’exposition. Son travail s’étend de la culture visuelle à l’art contemporain et à la théorie critique. Ses recherches portent sur le postcolonialisme, la géoculture et les géographies, les cultures de l’éducation et le genre, en interrogeant la manière dont ces champs s’entrecroisent dans les pratiques de production de savoir et les politiques culturelles.

Dans son essai influent From Criticism to Critique to Criticality*, Rogoff retrace l’évolution des modes d’engagement critique dans les arts. Elle distingue la critique au sens traditionnel (criticism), qui évalue les objets culturels selon des normes établies ; la critique au sens philosophique (critique), qui interroge les conditions de possibilité de la connaissance et de la valeur ; et enfin la criticalité (criticality), qui implique une pratique située et responsable. Plutôt que d’occuper une position extérieure ou d’autorité, la criticalité demande aux praticiens — artistes, commissaires, théoriciens et publics — de reconnaître leur propre implication dans les structures qu’ils analysent. Pour Rogoff, ce mode de travail assume l’incertitude et le risque, et transforme la critique d’un outil de jugement en une pratique de responsabilité et de création de possibles au sein de la production culturelle.

Lors de l’élaboration de ce qu’allait devenir La Salve*, From Criticism to Critique to Criticality* est le texte autour duquel Mylène Lauzon a réuni le collectif d’écrivain.e.x.s. 

Aïnhoa Jean-Calmettes* écrit pour essayer de comprendre des trucs et les partager. Souvent, elle préfère les mots des autres et donc leur poser des questions. Elle embrasse le rôle de regard extérieur à La Salve depuis sa création en 2019. Suite à une commande, elle a notamment écrit le texte Pour la Salve* à l’attention du collectif. 

Pauline L. Boulba* est performeuse, écrivaine et chercheuse en danse. Son travail porte sur l’analyse d’œuvres en danse, les pratiques queer & féministes et les archives intimes & collectives. Sa thèse a été publiée en 2023 aux Presses Universitaires de Vincennes sous le titre CritiQueer la danse. Réceptions performées et critiques affectées. Ce texte a fait faire des bonds aux critiques de La Salve.